27/02  24/05/25
« 20 000 lieues sous les mers : le voyage de Barthélémy Toguo »

Galerie Nathan Chiche, École Jean Prouvé, Vantoux

Barthélémy Toguo, Partage XXII, 2023. Encre sur toile, 100 x 100 cm. Courtesy Galerie Lelong & Co
Barthélémy Toguo, Partage XXII, 2023. Encre sur toile, 100 x 100 cm. Courtesy Galerie Lelong & Co

Du 27 février au 24 mai 2025, la Galerie Nathan Chiche présente 20 000 lieues sous les mers : le voyage de Barthélémy Toguo, une exposition dédiée aux œuvres de l’artiste camerounais. Dans cet écrin de métal et de verre conçu par Jean Prouvé, tel un vaisseau échoué à la lisière du ciel et de la mer, Barthélémy Toguo déploie son univers palpitant, où chaque œuvre résonne comme une vibration du vivant. Ce bâtiment, rigoureux et modulaire, incarne les contours oniriques d’un submersible enfoui, et dans l’éclat de ses parois métalliques se reflète un bleu abyssal. Dans ce dialogue entre architecture et art, il est impossible de ne pas ressentir la double nature de la mer, décrite avec tant de justesse par Victor Hugo : « La mer est un espace de rigueur et de liberté. »

Cette ambivalence de la mer, espace à la fois rigoureux et refuge, trouve une résonance poignante dans l’installation monumentale Road to Exile. Elle s’impose comme une topographie des espoirs et des traversées, où la mer devient témoin et acteur des migrations contemporaines. Ce n’est plus l’océan héroïque des récits verniens, mais une mer lourde d’histoires humaines, traversée de douleurs et d’attentes. Barthélémy Toguo saisit ces histoires avec gravité, faisant de l’océan non seulement un décor, mais aussi un témoin des espoirs et des épreuves.

La mer, dans toute son immensité et ses contradictions, traverse cette exposition comme une figure centrale, à la fois matrice et théâtre. Jules Verne l’exprime avec une puissance visionnaire dans 20 000 lieues sous les mers : « Oui ! je l’aime ! La mer est tout ! Elle couvre les sept dixièmes du globe terrestre. Son souffle est pur et sain. C’est l’immense désert où l’homme n’est jamais seul, car il sent frémir la vie à ses côtés. La mer n’est que le véhicule d’une surnaturelle et prodigieuse existence ; elle n’est que mouvement et amour ; c’est l’infini vivant. » Ce bleu, comme l’infini vivant évoqué par Jules Verne, devient chez Barthélémy Toguo une matière vibrante, un souffle qui relie les œuvres et transcende les espaces.

Le bleu Toguo, omniprésent dans l’exposition, agit comme une matière vivante, un souffle perpétuel qui traverse et relie les œuvres. Tantôt étendu en nappes profondes, tantôt dissipé en volutes légères, il évoque les oscillations immémoriales des abysses. À la fois ancrage et évasion, ce bleu incarne une dualité fascinante : engloutissement et révélation, silence et mouvement.

Si les jarres Chroniques du Vivant se dressent comme des reliques intemporelles, témoins d’un dialogue entre la terre et la mer, les poissons en bronze de la série Fish in Nature plongent dans une temporalité mythologique. Les motifs des jarres — un poisson enlaçant une amphore ou des grappes de raisin submergées — symbolisent une union fertile, où la nature se contemple et se régénère. Barthélémy Toguo éclaire leur signification en ces termes : « Les images que j’ai réalisées sur ces amphores sont similaires à ce que j’essaie de partager avec le monde. Tout est lié. Nous sommes dans un système nature-homme qui s’autorégule. L’un a besoin de l’autre, et vice versa. » Les poissons en bronze, quant à eux, semblent surgir d’un hiatus temporel, comme des artefacts exhumés d’une civilisation engloutie. Leurs écailles, ciselées avec une minutie quasi organique, captent la lumière avec une subtilité presque aquatique. Leur patine, oscillant entre azur et vert-de-gris, témoigne d’un temps suspendu, comme si ces créatures s’étaient imprégnées des siècles passés sous la mer.

Dans ce prolongement, la série de céramiques émaillées Balade Aquatique explore les formes marines. Quatre d’entre elles représentent un poulpe, dont les tentacules sinueux et presque hypnotiques semblent dialoguer avec l’imaginaire de Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne : « Ces visqueux tentacules renaissaient comme les têtes de l’hydre. » Les surfaces lustrées des céramiques capturent la lumière avec la même finesse qu’une peau humide émergeant de l’eau, conférant à ces œuvres une vitalité tactile. Disposées face aux hublots de Jean Prouvé, elles paraissent flotter dans un entre-deux, où l’intérieur et l’extérieur se mêlent, et où chaque reflet semble murmurer les échos d’un monde sous-marin.

Dans cette exposition, le bâtiment de Jean Prouvé transcende son rôle de contenant pour devenir un « Nautilus contemporain », une caisse de résonance où les œuvres de Barthélémy Toguo prennent vie. Ses lignes métalliques, rigoureuses et intemporelles, contrastent avec la fluidité organique des céramiques et des peintures, mais cet antagonisme crée un dialogue fécond, une réflexion sur les liens entre l’homme et son environnement, entre la structure et la vie. Barthélémy Toguo est un passeur, un navigateur des âmes et des récits. Ses œuvres, invitent à une plongée, non seulement dans l’univers marin, mais aussi dans les eaux plus profondes de notre inconscient collectif. Ce bleu qui parcourt son œuvre n’est pas seulement une évocation de l’océan : il est une matière onirique, un espace où se rejoignent le rêve, la mémoire et l’éveil spirituel.

– Nathan Chiche