Le Polaroïd occupe une place importante dans la carrière pluridisciplinaire de France Bizot. À la fois artiste plasticienne mais également directrice artistique mondialement connue dans le domaine de la publicité, France Bizot exploite depuis longtemps et de nombreuses façons différentes les possibilités qu’offre ce format de cliché instantané. En plein mois de la photographie à Paris, l’exposition « Polaroils », présentée du 6 novembre au 16 décembre 2023 à la galerie Backslash, explore avec générosité le monde du Polaroïd en détournant son principal caractère : l’instantanéité de la photographie. Car si les séries présentées rendent hommage à cette technique commercialisée à la fin des années 1940, France Bizot s’attache plus aux particularités de son format bien connu de tout le monde : un carré de 7,9 x 7,9 cm dans un rectangle de 10,7 x 8,8 cm. Et après plusieurs années consacrées au travail du dessin et de la céramique, l’artiste opère cette fois-ci un virage vers la peinture, medium précédemment abordé au début de sa carrière plastique.
Le Polaroïd représente pour France Bizot le premier appareil à selfie. Les expositions précédentes de l’artiste ont démontré son intérêt pour les réseaux sociaux, dans le sens littéral de ce phénomène. Aujourd’hui, elle s’adresse au côté pratique et technique du support virtuel. Avant Kim Kardashian, c’est Andy Warhol qui a défini l’idée de selfie lors de séances inoubliables et toujours avec l’aide d’un Polaroïd. Il faut d’ailleurs rappeler qu’il a été un graphiste réputé de la publicité durant de longues années. Pris sur le vif, les Polaroïds de Warhol définissaient son époque comme Instagram dévoile la nôtre. France Bizot s’attache ainsi à décrire et peindre notre présent perpétuel et les timelines permanentes qui défilent sur nos téléphones, à travers une série de peintures aux différents supports (dont de véritables Polaroïds vintage qui s’effacent pour laisser la place au pinceau de l’artiste). Le format du Polaroïd n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de l’IPhone. Et puisqu’aujourd’hui nous découvrons essentiellement les œuvres d’art d’abord par le biais du téléphone portable, France Bizot a donc réalisé des œuvres de cette taille-là, ou dans ce même rapport de format mais en plus monumental.
Les sujets et thèmes évoqués sont ceux du quotidien, de nos réseaux sociaux. Images capturées ou selfies parfaitement étudiés et retouchés, l’exposition propose une timeline numérique paradoxalement figée dans la peinture à l’huile. Mais l’artiste nous emmène également dans l’envers du décor et nous propose de découvrir ce que l’on ne voit normalement pas, par le biais d’une série de cliché peints inversés : ce sont cette fois-ci des dos de femmes, aux soutiens-gorges rapidement mal agrafés, alors que de face ces femmes sont probablement magnifiquement apprêtées. Que cache la photographie ? Et par leurs prismes, que ne dévoilent pas les images de nos réseaux sociaux aux vies parfaites ? Une dernière série d’œuvres exceptionnelles clôt le parcours de l’exposition : des madones contemporaines en céramique questionnent le spectateur sur le cliché voyeuriste des réseaux sociaux. Les carnations et l’épiderme de la céramique rappellent fortement les vierges du céramiste florentin Luca della Robbia et forment ainsi un cycle complet dans l’histoire de l’art, tout comme les Polaroïds recouverts de peinture à l’huile.