Du 24 septembre 2023 au 21 janvier 2024, le Suquet des Artistes de Cannes présente une exposition mettant à l’honneur le dessin et consacrée à l’artiste Jean-Philippe Roubaud, Didascalie 6 : À l’ombre de la lumière. Le graphite envahit le Suquet des Artistes se déclinant sous toutes ses formes, sur papier, sur céramique ou encore en fresque. À travers des œuvres tout en clair-obscur et illusion, l’artiste nous adresse un memento mori contemporain, soulignant le passage du temps et le caractère éphémère de la vie. L’exposition de Jean-Philippe Roubaud se poursuit au Musée des Explorations du Monde, où ses dessins dialoguent avec les collections d’Océanie, d’Asie, d’Amériques et d’Arctique
Dès l’entrée, l’exposition consacrée à Jean Philippe Roubaud interpelle le visiteur. Car si son œuvre a pour cœur le dessin, celui-ci ne se limite pas à apparaitre sur un traditionnel morceau de papier. De multiples supports se déploient dans l’espace : céramique, pan de mur, carrelage, l’artiste s’applique à explorer les marges de sa technique. Au-delà de la question de sa matérialité, c’est la place du dessin dans l’Histoire de l’Art qu’il questionne. Prenant le contrepied d’un medium souvent relégué à une position d’ébauche et à une intimité imposée, il revendique l’autonomie du dessin, et ce, quel que soit son support. Explorant les représentations passées, il possède une connaissance précise des normes, codifications et hiérarchies qui se sont appliquées à cette pratique à travers le temps. Le dessinateur le sait, connaitre les choses c’est s’en affranchir. Son voyage dans l’histoire de l’art se double d’un cheminement personnel comme en témoigne les nombreux autoportraits déployés dans l’exposition. L’artiste se regarde sans fard, sans pudeur, il s’étudie avec minutie. Il ausculte son corps avec une précision médicale et se projette au seuil de sa vieillesse et de sa mort. Ainsi, devient-il son propre matériau de réflexion et de création. Les dessins qu’il tire de cette étude sont baignés d’une aura de solitude et de douleur. On y décèle, les heures de travail passées dans l’isolement de l’atelier. La précision des détails, les aplats noir profond, la profusion de symboles, tout dans ses réalisations laisse percevoir l’investissement absolu et le caractère perfectionniste de leur créateur.
L’œuvre de Jean Philippe Roubaud est cependant loin d’être austère et pontifiante. L’artiste y distille un humour qui oscille entre ironie et impertinence. Ici un geste d’humeur, là un regard malicieux. Il joue à multiplier les irrévérences. De plus, les nombreuses références qu’il convoque dans ses dessins s’entrechoquent dans un étrange ensemble. Le dessinateur s’amuse à rapprocher culture savante et culture populaire. Car, loin de tout élitisme et tel un adolescent exalté, Jean Philippe Roubaud cherche à perturber l’ordre établi. Ainsi, la science-fiction côtoie l’antiquité. Ctuhlhu et fuit hic devenant des locutions échappées d’un royaume disparu, caché au cœur de l’imagination du dessinateur. Cette espièglerie se retrouve dans le traitement qu’il réserve aux céramiques. Refusant de basculer dans l’ornemental, il n’hésite pas à briser les assiettes qui lui servent de support. Les ébrécher c’est, non seulement refuser la dimension décorative de ces objets mais également se positionner contre l’esthétisation qui menace un art contemporain vidé de son sens. Dans le même esprit, l’artiste joue avec les codes de l’exposition, laissant volontairement une partie de ses œuvres invisibles au visiteur. Le retable sera tantôt ouvert, tantôt fermé, et les dessins enfermés dans les coffres demeureront invisibles aux yeux du public. Jouer avec la frustration et inciter l’imagination à prendre le relais fait partie de sa démarche artistique. En effet, ses compositions provoquent une réflexion sur ce qui se trouve au-delà des frontières matérielles. Où conduit ce chemin que nous indique le squelette ? Qu’y a-t-il derrière ce pan de mur déchiré ? En ajoutant des univers que nous ne reconnaissons pas et en présentant un peuple d’ombres mystérieuses qui hantent les arrières plans des toiles historiques, les œuvres nous confrontent à des questionnements que nous chassons d’ordinaire bien vite de nos esprits. L’artiste devient philosophe, et, dans les entrailles du Suquet, il accompagne le visiteur pas à pas en quête de réponses à ces multiples interrogations.
C’est, en effet, à un voyage initiatique que nous invite cette exposition, suivant le cheminement à la fois physique et métaphorique tracé par les alchimistes. Jean Philippe Roubaud propose au visiteur de se joindre à lui et d’affronter l’obscurité pour y découvrir la lumière. Paradoxalement, c’est sous terre, dans les salles voutées de ce qui fut une morgue, que l’horizon s’ouvre finalement. Pour y parvenir il faut, auparavant, traverser des ruines archéologiques et se confronter à l’idée de la mort. Reprenant le topos du Memento Mori, l’artiste l’adapte à la société contemporaine. Ses vanités ne nous somment pas de respecter des préceptes religieux précis mais questionnent notre rapport au monde et à la société moderne, à l’aspect éphémère de la vie. Une réflexion longuement murie par l’artiste. A l’ombre de la lumière, son sixième projet, est un chapitre qui synthétise l’ensemble des réflexions et des expérimentations de son œuvre qui tend à être à la fois personnelle et universelle.
Hanna Baudet