Du 1er février au 16 mars 2024, celle-ci présentera dans son espace parisien Mon Ithaque, une exposition personnelle de l’artiste Pierre Buraglio.
Peindre, peindre quelque chose tout en accordant au sujet peignant le sens ultime était donc possible. C’est très exactement ce que n’a cessé de faire le peintre depuis 2004. Non qu’il ait, d’un coup, renoncé à ces longues années de travail sans pinceau, mais bien parce qu’il s’agissait, à ce travail épuisé dans sa manière, d’offrir une relève : un prolongement vers l’avant, n’abdiquant rien de ce qui était, dès l’origine, à l’œuvre – ce jeu du peindre et du dépeindre, du faire et du défaire, déjà là dans l’Atelier Brianchon, comme il sera présent, actif, des Agrafages aux Caviardages, aux peintures allant chercher leurs motifs dans l’espace délibérément restreint, intime, de Maisons-Alfort.[...]
Revenant de la sorte, le trait n’a pas ressurgi seul, emportant autre chose dans son sillage, qui ne demandait qu’à revenir aussi, d’avoir été si longtemps enfoui sous la surface des œuvres. Je veux parler de cette dimension biographique, intime, des motivations de cet artiste dont le corps travaillant avait gardé la mémoire, sans qu’il fût, des années durant, concevable d’en faire état. Qui sait, quand il regarde un Assemblage de paquets de Gauloises dans le bleu matissien duquel on peut aisément s’abîmer, que c’était là, aussi, les cigarettes que fumaient ses parents ? Longtemps, l’autonomie de l’œuvre d’art ne s’est pas accommodée de tels aveux. La décision de 2004, si elle rompt avec quelque chose, le fait sans doute avec cela. Non que Buraglio, peignant, se soit abandonné à on ne sait quel épanchement qui ne serait vraiment pas son genre, mais tout simplement parce que peindre, désormais, ne pouvait pas vouloir dire autre chose que peintre avec : avec son histoire, avec l’Histoire, inextricablement liées. L’artiste a, pour désigner cela, une expression juste : à propos de la période de la guerre, qu’il vécut enfant, notamment à travers ce qu’en subissaient les adultes, il parle, pour qualifier ce qu’il en fait aujourd’hui en peinture, de « guerre intime ».
Comment mieux dire cette intrication qui est le travail même de la mémoire ? Lorsque Buraglio intitule une œuvre Rosa et Karl (2011), c’est encore cela qui est en jeu, dans cet empilement de casques posés l’un sur l’autre, l’un à l’endroit, l’autre à l’envers. Karl, c’est Karl Liebknecht, le cofondateur, de la Ligue spartakiste, assassiné en janvier 1919. Alors Rosa, dont le nom s’inscrit sur le casque du bas, est-ce Rosa Luxemburg, cofondatrice, avec Liebknecht, de cette Ligue, et assassinée en même temps que lui, ou s’agit-il de la grand-mère paternelle de l’artiste, elle aussi prénommée Rosa ? L’histoire se lit-elle à l’endroit où à l’envers, par la grande histoire – celle des adultes – ou par l’histoire intime, personnelle, celle qui a imprégné la mémoire de l’enfant ? Buraglio ne choisit pas, il hésite, car c’est, depuis toujours, la qualité même de sa peinture. Ainsi vont ses Blokoss qui, telles des ruines, oscillent entre œuvre humaine et œuvre de la nature.
Pourquoi choisir quand la marée qui part et revient découvre et recouvre, fait surgir une forme et, l’instant d’après, l’enfouit à nouveau sous la surface du monde.
Pierre Wat, Pierre Buraglio, peintre extrait du Catalogue de l'exposition
Pierre Buraglio - Bas voltage (1960-2019), présentée au MAMC+,
Musée d'art moderne de Saint Etienne (8 juin - 22 septembre 2019)