La galerie Ceysson & Bénétière présente dans son espace à New-York l'artiste américaine Rachael Tarravechia, du mercredi 8 mai au vendredi 14 juin 2024.
Une fois son ordinateur allumé, Rachael Tarravechia ouvre un nouvel onglet sur son navigateur et va sur le site zillow.com. Elle dézoome alors à partir de son appartement de Brooklyn et fait glisser vers l'ouest. Elle survole la carte numérique sans interruption jusqu'à arriver dans les espaces arides du sud-ouest américain. Rachael descend alors de sa perspective aérienne pour s’introduire à l’intérieur de demeures qu'elle ne verra jamais dans une partie du monde qu'elle n'a jamais visitée. Elle parcourt virtuellement ces maisons à la recherche de leur salle de bains, cliquant jusqu'à ce que la caméra soit positionnée au centre de la pièce. L’artiste regarde autour d'elle, et se réjouit de pouvoir se faire voyeur dans l'espace de quelqu'un d'autre, tout en ne pouvant se départir d’un sentiment de malaise persistant.
Après des années passées à s’empêcher intentionnellement de manger et à se regarder constamment dans les miroirs de salle de bains, ces lieux, généralement associés à l'hygiène et au soin personnel, sont pour elle teintés de malveillance et de malaise. La répétition sans fin de carreaux de salle de bain symbolise pour l’artiste le rituel quotidien qu’elle observe pour s'abstenir de manger. L'intimité de la salle de bain devient alors un miroir de la honte lui renvoyant l’image de son trouble alimentaire. L’attention prépondérante captée par les miroirs lui semble une sommation à examiner et critiquer son corps. L’artiste prend alors quelques captures d'écran de ces espaces lointains et pourtant si familiers, ferme son navigateur et se tourne vers sa toile. Elle a à présent ce dont elle a besoin pour se mettre à peindre.
Les salles de bains sont un thème récurrent de la production artistique de Rachael Tarravechia depuis des années. Alors que leur caractère universel offre un point d'entrée accessible au public, leurs références à l'industrie cosmétique, au soin du corps et aux routines beauté permettent à l’artiste de parler de son rapport ambivalent à la féminité, au plaisir et au fantasme. L'ornementation est également omniprésente dans ses œuvres. De l’incrustation de strass aux paillettes en passant par les bordures décoratives, chacune de ses peintures brille d’un éclat quasi irréel. Volontairement accrocheuses, les œuvres de Rachael Tarravechia étincellent tout en étant dépourvues de toutes traces d'humanité. Les poubelles sont totalement vides, les lavabos absolument secs et les comptoirs d’évier parfaitement dégagés. L'ornementation, de prime abord glamour, semble finalement un masque dissimulant la stérilité de ces environnements. Dans quelles mesures les femmes sont-elles poussées à se dissimuler, s’embellir et à se rendre stérile au-delà de leur salle de bains ? Pourquoi toute trace du corps féminin est-elle effacée et supprimée ?