Après avoir montré le travail de Marine Wallon dans des expositions de groupe en 2020 et en 2021, la galerie Catherine Issert consacre pour la première fois à l’artiste une exposition personnelle du 29 juin au 31 août 2024. Ses peintures, empreintes de références au cinéma et qui oscillent entre paysages et compositions abstraites, sont au cœur de cette présentation inédite, en parallèle à son travail sur papier, autre facette de sa vigueur picturale. D’une figuration de moments suspendus à un déferlement de matière, d’un arrêt sur image à un déchaînement gestuel, c’est un univers à la fois concret et imaginaire qui s’offre au spectateur.
Ce jeu entre fixité et mouvement trouve quelques clés d’explication dans les nourritures esthétiques de Marine Wallon. Elle qui regarde passionnément la peinture, de Delacroix à Joan Mitchell en passant par Milton Avery ou Van Gogh, reste obsédée par l’image en mouvement. Sa méthode même raconte cette dialectique : elle navigue dans un flux d’images de paysages glanées sur internet – sites d’archives, films documentaires, amateurs ou publicitaires – à la recherche d’un « choc visuel ». Après la capture d’écran, la saturation sur Photoshop et quelques croquis, vient la mise en danger de la peinture : munie de pinceaux, de brosses, de tissus plongés dans l’huile et jetés sur la toile ou simplement de ses doigts, elle livre une pensée sauvage pour donner vie à des paysages-matières où l’ambigu règne en maître : on ne sait trop si ses silhouettes incertaines, de simples « punctums » servant à la circulation du regard, évoluent dans des décors vraisemblables ou s’ils se trouvent nez à nez avec des signes picturaux. Ce sens aigu de l’indistinct, de l’étrangeté, de l’imminence, naît à l’intersection d’une histoire du paysage – la mer et la montagne, effrayantes mais attrayantes, ne sont pas sans rappeler la tradition du sublime romantique – et de références au cinéma, cinéma expérimental, d’auteur ou hollywoodien, celui de John Ford, d’Akira Kurosawa, de Jean-Daniel Pollet ou de Rose Lowder.
Marine Wallon opère donc une audacieuse alchimie : l’image animée se trouve fixée, pour finalement redevenir foisonnement ; l’image numérique éthérée devient picturalité concrète ; l’image par essence reproductible s’incarne dans l’aura d’une peinture ; l’image triviale, jetable, devient poétique, unique. La magie a lieu dans une sorte de danse ou de transe : si la genèse du travail vient de l’œil parcourant l’écran, la suite du processus créatif est des plus physiques. Entre le monde du tout-image qui est désormais le nôtre et celui des premiers âges de l’humanité, Marine Wallon cherche un geste primitif, aussi simple parfois que la main trempée dans la peinture et posée sur la toile, réitération d’un geste artistique originel évoquant sa pratique première de l’argile. À l’aide de ses spalters et pinceaux, elle libère, en une touche âpre et texturée, des arabesques, des étirements de peinture, de véritables rideaux de matière qui balaient, souvent en diagonale, la surface de la toile. Elle cherche la perturbation, l’excès, la perte des repères, à la lisière du dissonant ; depuis plusieurs années, Marine Wallon a banni toute idée de perspective. Ses peintures, désertiques, rocailleuses, enneigées, sont des scènes vides et pourtant saturées, où le moment de suspens cinématographique saisi en plongée ou en contre-plongée rencontre des temps géologiques immémoriaux. Repères de temps et d’espace se trouvent ainsi abolis, les échelles nous échappent et le vertige nous guette. La manière qu’a Marine Wallon d’habiter le médium se transmet vite au spectateur : quels qu’en soient le format et la technique – huiles sur toile, travaux sur papier exécutés à l’aquarelle, à la gouache ou au crayon, gravures –, on sent, face à ses œuvres, le froid des montagnes, le sel des embruns, la morsure du soleil, le souffle du vent. Ses pièces, toutes à la fois figuratives, atmosphériques, lyriques, dessinent ensemble, une fois leur accrochage orchestré, le storyboard d’un film que l’on peut sans cesse recomposer.
Elsa Hougue