Du 8 juin au 18 août 2024, le peintre Yves Zurstrassen présente l’exposition Free time, un parcours de sept toiles monumentales qui se répondent au cœur de la Halle des bouchers, Centre d’art contemporain de Vienne.
Yves Zurstrassen peint comme on compose de la musique. Il fait entendre la musique de chaque toile dans toutes ses fulgurances, ses variations, ses silences, ses ajouts et ses retraits, quand le tableau fini est le résultat graphique d’un dispositif pictural longtemps expérimenté et qu’on y perçoit aussi l’influence qu’a eue « sa musique à peindre », ce jazz qui l’accompagne toujours quand il travaille.
C’est donc à une polyphonie silencieuse qu’il nous invite, quasi mémorielle, quand il nous faudra tendre l’oreille et écouter, dans ce parcours de sept toiles monumentales qui se répondent au cœur même de la Halle des bouchers, le free jazz d’Evan Parker, la contrebasse de Joëlle Léandre, les accords de John Coltrane, de Miles Davis, d’Archie Shepp ou d’Ornette Coleman.
L’artiste utilise en effet un dispositif qui permet de « jouer la peinture » : « Les papiers que je découpe aux formes choisies ne sont pas collés, ils sont déposés sur la toile pour former la composition. Ils sont ensuite retirés très soigneusement pour laisser apparaître leurs motifs dans le tableau terminé qui reprend exactement les formes visibles du papier décollé ». Il utilise en effet des papiers comme pochoirs qui, une fois retirés, déposent sur la toile leurs signes. Et c’est précisément ce récit que Yves Zurstrassen fait de sa pratique qui laisse entendre l’orchestration expressive de son travail, jusqu’à la répétition des motifs qui sont autant ornementaux que musicaux.
On est alors tenté de voir dans cette répétition, dans ce protocole de travail invarié, les signes d’un rituel, et dans l’abstraction obtenue « le glissement vers le religieux dès lors que s’estompe le sujet » comme le souligne Bernard Ceysson dans le texte du catalogue publié à l’occasion de l’exposition du peintre en 2023 au Musée Picasso d’Antibes. Une part de sacré peut-être, que ne renierait pas le peintre qui a réalisé pour Vienne ces sept tableaux disposés comme en fond de chapelle sur les cimaises en arches de la Halle ou en autel. On pense au chiffre 7 symbole de sagesse spirituelle qui invite à la méditation et si présent dans tant de religions, au choix des tonalités de couleur pour que seuls les signes et la blue note puissent vibrer.
Des couches de peinture apposées sur le support, des trames, des papiers perforés au cutter numérique dirigé par ordinateur, un pointillisme de répétition qui laisse entrevoir, par soustraction, des apparitions d’autres couches antérieures. C’est ce processus qui suit le temps sédimenté de la réalisation de la peinture qui fait naître ce jeu d’occultation puis de révélation avant que l’œuvre finie montre la totalité des strates déposées, une polyphonie subtile qu’enfin nous entendons.
Une musique de grande liberté, free jazz inventif et joyeux, une musique de « temps libre » au rythme intuitif et fluide, presque jubilatoire. La peinture d’Yves Zurstrassen est de cet ordre, celui d’un jeu très libre dans un rêve éveillé, comme celui de la vie elle-même.
Bernard Collet
Commissaire de l’exposition
Bernard Collet
Commissaire de l’exposition