À l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, Jacques Martinez dessine sa « géographie spirituelle » de l’Europe du Sud avec quatre expositions dans les lieux qui lui sont les plus chers en France, en Italie et en Suisse : la Villa Arconati (Milan) du 7 avril au 13 octobre 2024, SPARC* VeniceArtFactory (Venise) du 16 avril au 24 novembre 2024, le Palais Lascaris (Nice) du 14 juin au 1er septembre 2024 et la Villa Ciani (Lugano) du 5 juillet au 1er septembre 2024. Chaque lieu a pour Jacques Martinez une signification particulière : Nice représente la joie, Venise symbolise l’amour, Milan est synonyme d’amitié, tandis que Lugano évoque le lieu de résidence de l’artiste. L’exposition fusionne passé et présent et regroupe des peintures, des sculptures et des dessins réalisés au cours d’un demi-siècle de carrière et portant sur différents thèmes : le paysage, la figure humaine, la nature morte et l’abstraction.
La saison culturelle 2024
« Domani. Pourquoi ce titre pour les quatre projets que je présente en 2024 ? À cause du dernier festival de la chanson italienne de Sanremo ! Et oui, il y eu au milieu de ces chansons populaires, entre le faux Rap et la chanson d’amour vraiment italienne, un moment inattendu, heureusement surprenant. Sur scène est arrivé un homme, Giovanni Allevi, encore jeune, très maigre et les cheveux déjà très gris. Un homme et son histoire, deux ans de maladie, grave, très grave, avec ces jours que l’on devine au plus près de la mort. Mais ce soir il était vivant, bien vivant, un peu tremblant d’émotion devant les applaudissements et certainement encore un peu de fatigue. Alors il a commencé à jouer, seul au piano, dans le plus respectueux silence de la salle. Avant cela, il avait eu le temps de parler de Kant à Sanremo. Il avait aussi donné le titre de sa musique. Tomorrow ! J’en ai retenu l’affirmation positive. Tomorrow. Une musique pour oublier les mauvais jours, pour regarder en avant. Comme Allevi, je ne veux pas m’enfermer dans une «rétrospective». J’attends de mes projets qu’ils soient utiles pour mettre en «perspective» plus de cinquante ans d’atelier. Je souhaite aussi qu’ils puissent être l’introduction d’un récit « prospectif », car ces expositions sont toutes en terre italienne : Arconati Bollate Milano, Lascaris Nizza, Campo San Stefano Venezia, Ciani Lugano. C’est pour ces raisons que j’ai choisi ce titre : DOMANI.
Les quatre projets montrent mes peintures, sculptures et dessins, qui représentent plus de cinquante ans de travail. À travers eux, je montre comment j’essaie de continuer, modestement (pas toujours), fièrement (souvent) à « naviguer » entre ce que j’appelle les quatre points cardinaux de l’histoire du monde qui est le mien. Abstraction. Homme, figure, corps. Paysage. Still life (je fais une concession à l’anglais par refus du mot «mort» dans nature morte). Elles devront répondre à au moins une exigence commune, quel que soit le nombre d’œuvres présentées : elles devront permettre une approche de la totalité de mon travail et aussi des questions qui furent et qui sont toujours à l’origine de ce que j’avais montré. Je partage l’idée de Michelangelo quand il écrit dans une lettre aux héritiers de Jules II, « n’oubliez jamais que je ne peins pas avec mes mains mais avec ma tête », même si, comme je l’écrivais à mon ami Christian de Portzamparc en 2017 : «nous avons toujours été plus près de cette phrase de Goya qui nous dit « que le sommeil de la raison engendre des monstres», si bien sûr nous savons toi et moi que tout nous éloigne de ceux qui osent parler d’ «asphyxiante culture», nous savons maintenant qu’il nous faut accepter d’entendre ce que nous crient les fous, sans jamais, vouloir, pouvoir, oublier ce que nous ont appris les sages. Et, que c’est bien dans cet entre-temps, dans cet entre-lieu où les choses prennent peut-être la couleur de la grâce ou des airs de duende que se trouve notre vérité.
Ne pas arriver à tenir l’impossible équilibre entre la raison et la folie, c’est risquer d’un côté de finir dans la démonstration ou l’illustration de l’autre, tomber dans ses oxymores que sont les arts, naïfs, spontanés, premiers, qui pouvaient avoir un intérêt pour certains quand ils restent enfermés dans des musées qu’ils lui étaient dédiés, comme celui de Lausanne par exemple, mais qui peuvent une fois qu’on nous invite à les regarder différemment questionner l’état d’un monde et la qualité de sa culture. Peut-être aussi que les premiers moments heureux dans mes ateliers ou dans les musées que je visitais, étaient aussi ceux où, du lycée à la faculté, je m’essayais avec enchantement à la philosophie, où les questions sont toujours plus nombreuses que les réponses. Je crois même que c’est parce que ce sont dans mes ateliers que je trouvais les réponses qui me convenaient le mieux que j’ai choisi plutôt les lignes et les couleurs que les idées et les questions sans réponse.
Les quatre parties de l’exposition seront différentes. Il ne s’agira pas, ou du moins c’est mon souci, de faire dépendre les œuvres présentées du seul volume des espaces dont je vais disposer. Il n’y aura pas une version abrégée, une autre une peu plus longue, encore moins une version complète. Ainsi nous verrons Arconati avec un « A » comme Atlanticus, Venise avec un « V » comme Vivere, Nice avec un « N » comme Nostalgie, Ciani avec un « C » comme Classique. »
— Jacques Martinez