Du 12 octobre 2024 au 16 février 2025, la Mairie de Cannes présente au Suquet des Artistes l’exposition Odyssée consacrée à la peintre Florence Obrecht. Cette exposition permettra d’envisager dans son entièreté la pratique de cette artiste, toujours avide d’expérimentation. Le parcours fera voyager les visiteurs dans son univers, à travers des galeries de portraits, installations et œuvres participatives.
« Les choses sont des existences immergées dans une autre réalité, là où il n’y a ni temps ni mouvement. Nous ne voyons que leur surface. Or c’est le reste, plongé dans l’ailleurs, qui détermine la signification et le but de chaque objet. Un moulin à café, par exemple. Le moulin à café est un morceau de matière auquel a été insufflée l’idée de la mouture. Les moulins moulent, et c’est pourquoi ils existent. Mais nul ne sait quelle est la signification générale d’un moulin. Nul ne connaît la signification générale de quoi que ce soit. »
Olga Tokarczuk, Dieu, le temps, les hommes et les anges.
Boites en fer, miroirs, tissus, la forme des œuvres présentées dans les salles du Suquet des artistes peut surprendre les visiteurs. Florence Obrecht mélange les supports, joue avec les matières et transforme les objets. Elle récupère pièces, fragments et étoffes de ses pérégrinations et les intègre à son travail. Ainsi, au delà d’une addition de toiles de formats divers, cette exposition dévoile un assemblage de choses qui, malgré leur hétérogénéité, semblent former un univers cohérent. Cette accumulation hétéroclite est au coeur même du travail de l’artiste et en révèle un élément essentiel : le voyage. Cette notion est en effet incontournable pour appréhender pleinement l’oeuvre de la peintre.
Que ce soit pendant son apprentissage de la peinture ou au cours de résidences, la peintre a posé ses outils dans de nombreux pays. Ces séjours, où elle s’est imprégnée de cultures nouvelles, transparaissent dans son œuvre. De la Sicile à la Bulgarie, en passant par les Etats-Unis ou l’Arménie, les traditions auxquelles elle s’est confrontée se mélangent pour créer un univers singulier. Loin de l’observatrice passive et en retrait, Florence Obrecht part à la rencontre des gens, découvre mythes, légendes et traditions et se plonge dans des pratiques artistiques différentes. Toutes ces expériences trouvent écho dans son œuvre tant matériellement que spirituellement. Ainsi, rapportant de ses séjours des accessoires, breloques, morceaux de tissus, elle constitue une collection bigarrées de souvenirs sensibles ; sortes de talismans qui, au-delà de leur utilité première, transportent avec eux un peu de la magie dont ils sont les porteurs. Cependant le cabinet de curiosité contemporain qui se dessine sous nos yeux ne témoigne pas seulement des contrées parcourues par l’artiste mais semble dévoiler un univers étrange, à la fois familier et inconnu, situé à la frontière entre réalité et imaginaire. Ces objets deviennent, grâce à l’artiste, les témoins d’un monde mystérieux. Ils ouvrent une fenêtre sur l’univers intime de la peintre. En les transformant et les intégrant à son oeuvre l’artiste leur donne un sens nouveau. Se saisissant de tout ce qui l’entoure, sans porter de jugement sur leur valeur, la peintre réenchante le quotidien, sublime l’ordinaire et tend à changer notre regard sur les choses et leur signifiant. Cependant, Florence Obrecht ne récupère pas seulement des éléments physiques pour les utiliser comme nouveau support pour sa peinture. Tels les peintres itinérants qui parcouraient l’Europe de l’Est au XIXe siècle, la peintre constitue une galerie de portraits issus de ses rencontres. Ainsi, elle porte la voix de populations peu représentées et révèle des cultures diverses. Ses peintures intègrent ses découvertes. Ici une coiffe, là une étoffe, autant de témoignages des rencontres qu’elle a faites. Son œuvre illustre donc, un monde à la fois réel et onirique né de l’assemblage d’éléments disparates capturés le long de son chemin.
Le voyage initié par l’artiste ne se limite pas a un déplacement dans l’espace. Ainsi, la peintre parcours également les époques. Florence Obrecht retravaille des figures de l’histoire de l’art. Picasso, Leonor Fini, certaines de ses toiles sont des interprétations contemporaines de peintures qui l’ont touchées, ouvrant une fenêtre sur ses goûts personnels et les maîtres qui l’inspirent. Ces déplacements temporels contribuent à l’originalité de son œuvre, les figures qui prennent corps sous son pinceau semblent étrangement familières. L’artiste convoque la mémoire collective pour créer une histoire nouvelle et contemporaine. Car si les personnages des portraits nous semblent familiers leurs traits nous sont inconnus. Les visages qui habitent les toiles sont ceux de ses proches : famille, voisins, amis. Cette proximité avec les modèles peut expliquer le lien entre l’artiste et ses œuvres qui persiste après la réalisation des toiles. Les tableaux font partie intégrante de son quotidien.
Ils vivent à ses côtés, l’entourent dans son atelier et l’accompagnent dans ses voyages. En mêlant inspirations historiques et personnelles, temps court et temps long, la peintre rassemble sur un même support des horizons multiples. Mis côte à côte, ces figures semblent former une légende dorée personnelle. Car l’oeuvre de Florence n’est pas dépourvue de spiritualité et dégage une aura mystique. Or, cette atmosphère n’est n’est pas uniquement due à la présence de saints et saintes que l’on peut croiser ici ou là. Sainte Lucie ou Saint Georges reprennent vie sous des traits contemporains et même les œuvres dépourvues d’attributs religieux traditionnels sont teintées de piété. Peut-être est-ce en raison de leurs regards emplis de mélancolie ? Ceux-ci semblent perdus dans un ailleurs inaccessible aux visiteurs. Que voient ils ? L’horizon vers lequel ils se tournent nous est inaccessible, nous ne pouvons qu’imaginer ce qui se passe en dehors de l’espace de la toile. Suivre les pas de Florence Obrecht c’est aussi accepter de s’engager dans un voyage initiatique car l’exposition invite à l’introspection. En acceptant de confier ses rêves à la peintre à la fin du parcours, le visiteur signe un pacte avec l’artiste. Il lui autorise non seulement leur utilisation mais il consent également, par cette démarche à entamer une réflexion personnelle. Participant ainsi, un peu, à l’oeuvre de Florence Obrecht qui transforme l’intime en universel.
Florence Obrecht, voyage intérieur, Hanna Baudet, septembre 2024