07/12  01/02/25
« Et si tout n'était que mirage ? »

Bigaignon, Paris

Vue in situ de l'exposition © Bigaignon
Vue in situ de l'exposition © Bigaignon

Chaque année, la galerie Bigaignon propose une exposition collective manifeste qui explore les notions fondamentales que sont la lumière, le temps et l’espace. Après avoir interrogé la nature de la photographie en 2022 et le rapport ambivalent entre ombre et lumière en 2023, l’exposition intitulée « Et si tout n’était que mirage ? » du 7 décembre au 1er février 2025, invite cette année à repenser notre rapport à l’image. À travers des œuvres troublant les frontières entre visible et invisible, réalité et fiction, passé et futur, cette édition questionne la perception et la fluidité du monde qui nous entoure. L’exposition réunit les œuvres de dix artistes : Anne-Camille Allueva, Lionel Bayol-Thémines, Rossella Bellusci, Renato D’Agostin, Martin Désilets, Morvarid K, Lab(AU), Quentin Lefranc, Luca Spano et Marco Tagliafico.

L’exposition « Et si tout n’était que mirage ? » rassemble les travaux de dix artistes internationaux qui repoussent les limites de l’image et se distingue par une diversité d’approches artistiques autour du thème central de la perception. Elle s’ouvre sur une œuvre monumentale de Martin Désilets, intitulée « Tous les désastres de la guerre ». Cette pièce, créée à partir de photographies superposées des gravures de Francisco de Goya, propose une interprétation unique où l’accumulation et l’effacement se rencontrent, capturant l’essence des gravures originales dans un imposant format de 4 x 3 mètres. Cette œuvre saisissante introduit une réflexion qui traverse l’ensemble de l’exposition.

La jeune artiste française Anne-Camille Allueva questionne dans son travail les composantes dialectiques de l’image. En prélude à l’exposition personnelle qui lui sera consacrée en 2025, elle explore dans les pièces présentées ici la source du visible et interroge les processus d’apparition et de perception des images. Luca Spano, avec sa série « Far Away Structures », propose une réflexion sur la perception à travers des sculptures de verre où des mots, issus de conversations menées avec des scientifiques et des personnes déficientes visuelles, suspendent les pensées entre deux dimensions. Son approche interdisciplinaire questionne les frontières entre le visible et l’invisible. 

Les relations entre visible et invisible se retrouvent également dans le travail du collectif belge Lab(au), qui explore la disparition et la dématérialisation avec son oeuvre intitulée « Erase On Kawara ». Une œuvre conceptuelle qui traite de l’effacement et qui fait par ailleurs référence à la célèbre œuvre « Erased de Kooning Drawing » de Rauschenberg, créée en 1953 - Rauschenberg avait alors a effacé un dessin qu’il avait obtenu de l’expressionniste abstrait américain Willem de Kooning. Cette pièce conceptuelle questionne bien entendu la matérialité de l’oeuvre, son impermanence et donc son rapport au temps. 

Mais l’image existe-t-elle toujours si elle n’est plus visible ? C’est à cette question que tente de répondre l’artiste iranienne Morvarid K qui s’attaque à la nature même de l’image. Dissolvant une photographie pour en extraire la pulpe originale du papier, elle décompose méthodiquement l’image, ramenant la photographie à sa matière première. Ce processus transforme l’image en un matériau teinté d’encre résiduelle, chargé d’une mémoire silencieuse. Cette œuvre interroge les notions de présence et d’absence et les états intermédiaires entre existence et effacement. 

À contre courant, Lionel Bayol-Thémines explore la dialectique de l’image, et s’inspirant notamment du philosophe Vilém Flusser, il fabrique des images singulières qui interrogent la capacité de la photographie numérique à générer d’autres « réalités ». La galerie présente ici, pour la toute première fois, son dernier projet intitulé « Playing with John Baldessari and Machines », une série dont les images toutes issues d’une performance collaborative avec un réseau neuronal, auquel a été soumis le même prompt, en continu, pendant plusieurs semaines, sont mises en miroir par l’échange, par le jeu du ‘cadavre exquis’, avec un mot, une phrase, provoquant ainsi un deuxième déplacement de leur signifiant en écho aux expériences du rapport “texte / image“ de John Baldessari. 

Les paysages tiennent également une place particulière dans cette exposition collective. Marco Tagliafico avec sa série « Archipelago » propose une œuvre sculpturale composée d’éléments interconnectés et créés à partir d’une seule photographie de paysage. Elle superpose une vitre peinte à une impression photographique réalisée en chambre noire avec la lumière d’un smartphone. Ce dispositif transforme et masque le paysage d’origine pour en révéler de nouveaux à partir de certains détails. L’œuvre explore la perception humaine à travers la médiation des technologies et invite les spectateurs à plonger dans sa profondeur et sa structure, questionnant la forme et la signification. Son compatriote Renato D’Agostin y dévoile quant à lui un triptyque intime en argentique qui déconstruit et juxtapose des paysages urbains, bouleversant notre perception du réel par une approche poétique, voire fantomatique. 

De fantôme, il en est également question dans le travail de Rossella Bellusci qui met quant à elle la lumière au coeur de ses créations. En plaçant un modèle humain entre une source lumineuse et un objectif, elle réduit le corps à une ligne fluide, inversant les rôles traditionnels de la lumière et du sujet. Ce procédé réinvente notre perception des éléments constitutifs de l’image.

Enfin, Quentin Lefranc propose de jouer avec notre propre perception de l’espace par le biais d’une sculpture composée de miroirs, intitulée « Au centre rien » et paradoxalement placée au centre de la galerie et qui dialogue parfaitement avec l’une de ses photographies intitulée « Faire centre ». Ces œuvres imposantes par nature interrogent notre rapport à l’espace et notre relation au monde.